Festival Grand Océan - Cité de la mer.

Un festival dans lequel je mettais beaucoup d'espoir et qui m'a un peu déçue à la fois sur la forme et sur le fond.

Sur la forme: il s'agissait d'une succession d'interventions plus ou moins longues d'experts ou de professionnels de la mer dans un grand amphithéâtre avec un écran géant. De 9h à 20h les invités ont présenté leurs sujets d'études, leurs travaux ou réalisé leurs autopromotion pour expliquer à quel point ils étaient géniaux. Je n'ai pas apprécié le format très descendant de cet évènement (j'ai le savoir, écoutez moi religieusement) avec quasiment aucune possibilité d'échanges avec le public, toute la journée enfermée dans cet amphithéâtre. J'ai trouvé la journée longue. L'événement était retransmis en direct sur Internet, je me suis fait la réflexion qu'il n'y avait aucun intérêt à se déplacer et que j'aurai pu suivre le festival à distance depuis mon ordinateur... Les replay de toutes les interventions sont disponibles ICI.

Sur le fond: un festival très tourné vers l'économie bleue (donc l'exploitation des ressources marines) avec une démarche plus ou moins volontaire (par la réglementation) des professionnels de verdir leurs activités. Les intervenants tenaient parfois des discours très techniques peu accessibles au grand public alors que le festival était ouvert à tous. Donc peu de pédagogie pour la néophyte que je suis. Egalement un sentiment de déconnexion avec le réel notamment lorsque Pascal Lamy, un haut fonctionnaire et homme politique français, nous a expliqué (en visio) le développement européen d'un jumeau numérique de la mer...


Voici mes notes et mes remarques prises durant les différentes interventions: (à compléter)

  • le défi de cartographier le fond de l'océan: les grands fonds représentent plus de 66% de la surface de la Terre. La France qui détient la plus grande ZEE au monde après les Etats-Unis présente donc un grand intérêt pour cartographier les fonds océaniques.
  • Décarboner les navires et les ports: 90% des produits que nous consommons ont voyagé à un moment ou à un autre par la mer. Aujourd'hui la plupart des navires sont au fioul lourd. Une table ronde était organisée avec 4 sociétés: Naval Group, Britanny ferries, TOWT et Behond the sea. Bon, la bonne nouvelle c'est qu'ils sont tous géniaux (selon eux). Je rapporte leurs discours:
  • Naval Group qui est un acteur international du naval de défense (les sous-marins) réalise des évaluations des impacts de leurs navires sur l'environnement. Ils ont également un pôle Recherche et Développement et font de l'éco-conception. Ils réfléchissent par exemple à optimiser la forme de leurs bateaux, leurs poids et l'usage de biocarburants. Ils favorisent l'usage de matériaux composites qui permettent de réduire le poids des bateaux. Ils mettent en place un système d'hydrofoil pour réduire le frottement avec l'eau et ainsi diminuer la consommation de carburant de 10 à 15%.
  • Britanny Ferries affirme avoir baisser de 20% ses émissions de gaz à effet de serre entre 2017 et 2022. L'entreprise annonce fièrement que 2 de ses bateaux sont propulsés au gaz naturel (GNL). La présentatrice ajoute tout de même que le gaz naturel est une énergie fossile mais que c'est moins impactant que le fioul lourd. J'ajouterai que le gaz naturel rejette moins de CO2 mais plus de méthane qui est un très fort gaz à effet de serre... 2 autres bateaux seront livrés en 2025 et seront hybrides (gaz et électricité). Selon l'entreprise ils sont vigilants à la conception de leurs navires pour réduire les GES, ils veillent à l'optimisation des routes maritimes, ils réduisent la vitesse de leurs bateaux, ils testent une voile gonflable sur un 1 de leur navire (voile conçue par Michelin).
  • TOWT: j'avais entendu parlé de cette entreprise dans un petit ouvrage sur les entreprises à impact. Son PDG est malheureusement très peu pédagogue, il rentre dans des détails très techniques qui perdent à coup sûr le non professionnel. Dommage car sur le principe son entreprise est très bien: le transport des marchandises via des bateaux à voile. Il est en attente de livraison de 4 nouveaux bateaux avec pour objectif de naviguer plus de 95% du temps à la voile. Selon lui ce transport est plus rapide (non pas en nombre de jours nécessaires pour faire la traversée mais en temps d'attente dans les ports) et plus compétitif.
  • Behond the sea: ils développent une aile de kite pour tracter les bateaux de marchandises quand les conditions le permettent. L'idée n'est pas qu'un bateau de cette dimension navigue uniquement grâce à une aile de kite (ça sera impossible) mais que cela serve d'aide pour diminuer la consommation de fioul. L'objectif serait une économie de 20 à 30% de réduction des GES. Le projet en est encore en phase d'expérimentations.
  • l'éolien en mer: une jeune fille plein de peps (et très douée dans l'opération séduction, embauchée par EDF) est venue nous expliquer à quel point les éoliennes offshore sont géniales et protègent l'environnement (rien que ça, j'ai failli m'étouffer lorsqu'elle a sorti tel quel cette phrase). Le risque de collision avec les oiseaux? Sans commune mesure avec les collisions en ville et à cause des voitures. Le dérangement des mammifères marins? Dérangement très limité et puis après ils reviennent et s'adaptent très bien à la situation. Ils seraient même ravis, ils joueraient au milieu des pieux des éoliennes (bon c'est c'est moi qui le rajoute mais je pense qu'elle aurait été capable de le dire). Le dérangement avec les poissons et les pêcheurs inquiets de ne plus avoir de ressource? Les parcs sont pêchables et les pêcheurs ravis, ils reviennent sur les zones d'implantation des éoliennes. Et chose incroyable: les mono-pieux des éoliennes forment des récifs artificiels et ont été colonisés par de nombreuses espèces végétales et animales. Chouette j'ai hâte qu'un club de plongée m'y emmène pour voir l'incroyable diversité de cet écosystème!! Mieux que les caraïbes, les pieds des éoliennes! EDF serait très attentif à l'impact environnemental de ses éoliennes. Il travaillerait avec des océanographes passionnés, des naturalistes, des associations locales. Il financerait des programmes de recherche. En conclusion selon cette charmante personne: "les éoliennes offshore sont tout sauf une menace pour l'océan". Un article de Reporterre "L'éolien en mer menace la biodiversité" a un autre avis à le sujet... A méditer.
  • la mission Starfish et le jumeau digital de l'océan: je découvre ici un autre monde parallèle dont je ne soupçonnais même pas l'existence (pour ça c'est intéressant mais le fond est effrayant!). Pascal Lamy, haut fonctionnaire, homme politique, commissaire européen pour le commerce jusqu'en 2004 et ancien directeur général de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) nous présente (sans aucune pédagogie, j'ai dû m'accrocher au départ) le projet de jumeau digital de l'océan. En gros, les chercheurs ne vont pas assez vite, nous n'avons plus le temps avant que tout parte en cacahouète, il faut accélérer les connaissances sur le milieu marin donc on met des moyens financiers considérables (120 millions d'euros par an) pour créer une version numérique de l'océan et ainsi comprendre, grâce à de savants calculs, algorithmes et modèles pilotés par l'intelligence artificielle, comment fonctionnent les océans. Il s'agit d'une réplique digitale du milieu océanique. Ce programme européen sera prêt fin 2024. Pour aller plus loin dans les explications on peut consulter le site de Mercator Océan. J'ai eu l'impression d'être dans la dystopie Black Mirror. Au lieu de donner les moyens financiers aux chercheurs compétents sur le milieu marin pour accélérer leurs travaux, on donne des millions à des geeks pour créer un monde marin virtuel. Bon là les mots me manquent! Le festival Grand Océan avait cette année une phrase qui servait de fil conducteur: "L'océan nous oblige à être intelligent". Dans le cadre de ce projet, on est très loin du bon sens et de l'intelligence selon moi.
  • les monstres marins: intéressant mais je me suis endormie! (c'est pardonnable en passant des heures assises dans le noir). J'ai appris qu'au Moyen Âge on s'imaginait les animaux marins comme le reflet des animaux ou êtres humains sur terre: il y a avait par exemple le poisson moine (une tête de moine et un corps de poisson! Très drôle), le poisson chevalier (même principe mi chevalier mi poisson).

J'ai ensuite appris que les méduses étaient de plus en plus présentes dans nos mers et océans. Un article intéressant à ce sujet sur le site de l'institut océanographique de Monaco. On apprend par exemple que c’est principalement l’impact des activités humaines sur les océans qui expliquerait ce changement. Avant tout, la surpêche. « En capturant des tonnes de poissons (80 millions sont pêchés chaque année), les chalutiers éradiquent un certain nombre de prédateurs pour les méduses, tels les thons, les tortues, les poissons-lunes … Ils suppriment aussi leurs concurrents, les petits poissons, les anchois ou les sardines qui se nourrissent du même zooplancton. ». La chercheuse a apporté une note positive à son intervention en précisant que c'est grâce aux méduses qu'on a mis compris l'anaphylaxie. De plus le collagène des méduses est compatible avec le collagène humain. Et enfin le gène bioluminescent de certaines méduses sert en médecine pour les biopsies internes.

J'ai également appris que dans le cadre des expéditions TARA, aujourd'hui ils ne collectent plus d'animaux ni de végétaux marins: ils collectent des échantillons d'eau de mer et analysent les ADN présents dans ces échantillons. Ce qui est compliqué c'est qu'on ignore encore beaucoup de choses et qu'on ne connaît pas un grand nombre d'ADN collecté.

Autre sujet abordé: les robots ARGOS: il s'agit de 3800 robots autonomes qui auscultent nuit et jour les océans pour collecter des données.

  • les découvertes des plongeurs: une petite bouffée d'air frais très courte (15 minutes) durant laquelle deux plongeurs amateurs sont venus nous témoigner de leurs expériences de plongée et leurs rencontres avec des animaux marins. Les deux structures présentes étaient Ocean Academy et Longitude 181.
  • les océans dans l'espace: ce que je retiendrais surtout de cette intervention c'est qu'on soupçonne l'existence d'eau liquide sur un grand nombre de planètes ou satellites du système solaire. Cette eau liquide serait emprisonnée entre deux couches de glace.
  • comment cuisiner éthique? J'ai appris que la moitié des protéines sur la planète provient de l'océan. Et que 40% des poissons péchés ne sont pas ramenés à terre mais directement rejetés en mer (c'est énorme!). Cela renvoi à une réflexion d'un pêcheur qui témoignait dans une vidéo lors de ma visite du Marinarium de Concarneau. A la question: que pensez-vous des quotas de pêche celui-ci avait répondu "je suis contre, de toute façon les poissons sont pêchés donc on les rejette morts à l'eau". Donc si je comprends bien: on pêche du poisson mais comme nos techniques de pêche sont peu sélectives 40% du poisson ne peut pas être ramené à terre et sont donc tués pour rien et rejetés en mer...Tout est normal.

Le chef cuisinier Olivier Roellinger préconise de manger d'autres poissons que les principaux consommés en France (saumon et cabillaud en tête). Un poisson durable est un poisson qui a été pêché selon une technique durable, avec la bonne taille, à la bonne saison et en veillant à l'état des stocks. Le cuisiner cite une association: Ethic Ocean et son application mobile. Association plus consensuelle que Bloom. Il termine son intervention en faisant un appel pour arrêter de consommer l'anguille européenne. Cette espèce est en voie d'extinction selon l'UICN. A deux reprises durant mon séjour le sujet de l'anguille est apparu sans jamais faire allusion à sa disparition en cours: lors de ma sortie de terrain à Omonville (dans le cadre de ce même festival!) avec un agent du conservatoire du littoral qui nous dit, en longeant un petit ruisseau, que dans ce cours d'eau il y a de nombreuses anguilles et civelles (les juvéniles) donc son discours était contradictoire avec celui du cuisinier, et à Bordeaux lors de ma visite de la ville en bateau durant laquelle la guide cite les espèces présentes dans la Garonne et mentionne les anguilles et civelles sans aucune précision sur l'état des stocks. Afin que le consommateur arrête de manger de l'anguille il faudrait peut-être que les guides et autres professionnels soient informés et transmettent le bon discours aux personnes qui les écoutent.

  • la mission Bougainville: des étudiants de Sorbonne Université embarquent sur des navires de la marine nationale pour réaliser des études sur le microbiome. L'objectif est de multiplier les observations de la vie invisible des océans pour collecter de la donnée. Pour en savoir plus, on peut consulter le site internet de la mission Bougainville.

J'ai appris qu'il y a entre 10 et 100 milliards d’organismes – virus, bactéries, protistes (organismes unicellulaires), et animaux – dans chaque litre d’eau de mer à l’échelle planétaire! Enorme, on ne s'imagine pas tout ce qu'on ingère quand on boit la tasse!

  • l'intervention de François Sarano: une bouffée d'air frais, en direct de son voilier de recherche au milieu de la Méditerranée. François Sarano est toujours aussi passionné, c'est un plaisir de l'écouter. Il nous a principalement parlé de ses études sur l'écholocation des cachelots.
  • l'océan est-il notre pharmacie du futur? une représente du laboratoire Dielen intervenait. Ce laboratoire conçoit des compléments alimentaires à base de résidus de poissons. Bon difficile d'en savoir davantage, à chaque question de l'animatrice elle disait qu'elle ne pouvait pas en parler car les produits et procédés étaient brevetés. Sympa d'inviter une personne qui ne peut rien dire sous couvert de secret industriel... Le point positif c'est qu'apparemment le laboratoire ne prélève pas la ressource, il valorise uniquement des parties de poissons non consommées qui auraient été jetées. J'ai noté un point intéressant, l'intervenante a laissé échapper que le laboratoire était très aidé par BPI France (la banque des entrepreneurs, jusque là tout va bien) mais aussi par la Région. J'ignorais que les Régions (donc notamment les impôts) aidaient financièrement des groupes privés. Franck Zal, scientifique et docteur en biologie marine, est intervenu en visio enregistrée pour parler du vers marin qui possède une hémoglobine universelle. J'avais découvert ce vers marin et son scientifique au musée 70.8 à Brest.
  • Clôture avec Cédric Villani: le festival s'est clôturé avec l'intervention de Cédric Villani, mathématicien et homme politique, qui a mentionné 4 mots pour définir cette journée de festival: Mystère - Innovation - Aventure - Gâchis

Phrases entendues lors du festival:

"La terre sépare les Hommes, l'océan les unit"

" L'océan commence dans notre évier"

Et une petite histoire: imaginez que vous êtes dans un château froid, sombre et humide. Dans la pièce dans laquelle vous vous trouvez il y a une cheminée et derrière la cheminée une bibliothèque avec de nombreux livres. Transi de froid le réflexe que vous aurez très probablement est de brûler les livres de la bibliothèque dans la cheminée pour vous réchauffer. Vous en brulez un puis deux puis 10, 20 jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de livre. Vous êtes à nouveau transi de froid. La solution a été très ponctuelle. Peut-être auriez dû lire les livres et trouver des solutions dans les bouquins que vous avez brulés..."